Quand elle s'est approchée, le soleil déclinait déjà à l'horizon. Je me souviendrais toute ma vie à quel point je crus qu'elle était envoyée d'une force supérieure à nous pauvres mortels que nous sommes. Elle était d'une beauté effarante, le soleil couchant dans le dos. On n'aurait pu déterminer si elle était ange ou démon, et elle était comme poursuivie par un brasier sans fin. L'astre allumait des éclairs roux dans son pelage. C'était un spectacle miraculeux. Si vous aviez vu ce que j'ai pu voir, vous ne seriez plus les mêmes aujourd'hui. Mais avant de vous rapporter ses paroles, vous devez savoir à quoi elle ressemblait, sinon cela n'a plus aucun sens.
Elle a un regard impressionnant, pénétrant et presque indéchiffrable. Elle n'observe pas, ne regarde pas, elle scrute. La première pensée qui me vint fut : Elle lit en moi. Je croyais qu'elle connût de suite mes pensées, je craignît de n'être percé à jour. Alors que je ne l'avais jamais rencontrée ni même jamais vue, que nous ne nous connaissions pas, j'eus le sentiment que tous mes secrets furent connus de cette louve, qu'elle trouva en mon esprit toutes les pensées que j'aurais voulut cacher, que mon âme était nue. Ce fut cette drôle de sensation que je ressentis au simple contact que ce regard eut avec moi, au simple moment où elle braqua ses yeux d'une ambre intense, presque orange, sur mon pelage.
Après de très longues minutes où je fus terrifié à l'idée qu'elle lisait en moi et où elle me scruta, le visage indéchiffrable, elle s'approcha lentement et s'affala par terre – pour ne pas dire qu'elle tomba sur le sol. Je pus la détailler à loisir et je remarquai que nous avions presque le même pelage. Le sien était gris, avec quelques endroits blancs et des reflets roux et bruns – je ne sus d'ailleurs jamais si ces reflets étaient provoqués par la luminosité étrange du coucher de soleil ou s'ils étaient naturels. Regardez le mien : il est gris, quelques endroits blancs mais ses reflets sont noirs de jais.
J'avais eu l'occasion, lorsqu'elle s'était approchée de moi, de remarquer sa puissante musculature. Attention, elle n'en avait pas trop pour une femelle qu'elle était. Mais elle était tout de même très musclée, et cela lui allait à ravir. Elle était assez grande ; par conséquent, ces muscles n'étaient pas de trop et ne frappaient pas. Au sens où ils ne choquaient pas, car pour rien au monde je n'aurais souhaité qu'elle me clouât au sol. Même moi, j'aurais peiné à m'en sortir. Et son allure noble et fière ne m'avait en aucun cas échappée ! De plus, elle avait l'assurance des meneurs. Je pensai de suite qu'elle devait diriger un Clan, quel qu'il soit. Je ne pus – ou ne voulus – pas en déterminer l'odeur. Cela ne m'intéressait pas.
Ses poils étaient broussailleux et relativement longs. Ils partaient dans tous les sens, et je n'ose pas imaginer l'effet que ça produisait lorsqu'elle était en colère et qu'ils se hérissaient partout sur son corps. Cela devait être très impressionnant, mais je n'eus pas plus l'occasion de voir ce spectacle que celle de savoir si les reflets de son pelage étaient naturels ou pas, ou encore de me retrouver allongé sous ses puissantes pattes – pour la première et la dernière, je m'en réjouis au plus haut point.
Sa démarche lente, calme, on eût pu penser qu'elle n'avait rien d'autre à faire. Elle aurait pu marcher sur des ronces que je suis persuadé qu'elle n'aurait pas bronché. De toute façon, en la voyant, on avait l'impression que toute la forêt s'écartait sur son passage, tant elle dégageait de noblesse et d'assurance. Elle marchait avec grâce et souplesse, sans jamais se départir de sa lenteur. Il y avait une sorte de provocation sarcastique dans cette lenteur, comme si elle signifiait à quiconque voudrait qu'elle aille plus vite que c'était elle qui commandait et qu'elle choisissait son allure avec un air narquois.
Vraiment, vous auriez dû voir le spectacle qu'elle m'offrit en cet instant où je la vis pour la première fois. Ce fut impressionnant. Mais j'ai dit le maximum. Je ne pourrais vous dire plus de choses sur son physique. Alors, une fois allongée, elle ferma ses paupières sur ses yeux oranges et posa sa tête sur ses pattes allongées devant elle. Après un instant ainsi, où le silence se prononça, où je n'osait bouger, de peur que le miracle qu'elle fût pour moi en cet instant de disparaisse en volutes gracieuses d'une fumée grisâtre aux reflets roux, elle releva la tête et me fit signe de me coucher en face ou à côté d'elle, ou du moins de m'asseoir. Je m'exécutai docilement, et observai son visage qui s'était fait grave. À ce moment, elle ouvrit la bouche et prononça les premières paroles qu'elle m'adressait depuis le début de nos existences. J'écoutai sa voix comme une chanson, elle était magnifique. Légère, tel un appel aux oiseaux rentrés dans leur nid avec leurs familles. En cet instant précis, ce fut non seulement ma vie, mais aussi ma vision des choses qui commença à changer.
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Drywen ( Administratrice )
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« Je suis sarcastique et nonchalante dès la première rencontre, et je ne sais pas pourquoi j'agis ainsi, commença-t-elle son discours en soupirant. Cela me ferme toutes les portes, et je n'ai de contact avec personne. Nul ne me supporte, et c'est bien étrange que j'aie atterri là où je suis actuellement. Meneuse des Shayës... On me l'aurait dit que je ne l'aurait pas cru. Mon presqu'anonymat me suffisait, et les fantômes de ma conscience ressurgissant d'outre-tombe ne seraient pas en train de me seriner actuellement si j'étais restée là où j'étais. Mais j'ai saisi ma chance lorsqu'elle s'est présentée, et jamais je ne le regretterais. Ce fut le meilleur choix de toute mon existence.
« Je pense que cette nonchalance est due au fait que j'ai peur de me rapprocher des autres. Tous ceux que j'ai côtoyé sont aujourd'hui morts, et leurs décès respectifs fut pour moi source de tristesse et de souffrance extrêmes à chaque fois. Bien que je ne veuille pas me l'avouer, j'ai peur, j'ai très peur de souffrir... J'ai beau prétendre le contraire, je suis une louve comme les autres. J'ai une trouille bleue de la mort, et la souffrance d'autrui entraîne la mienne. C'est ainsi. Je suis très réceptive des émotions négatives des autres. À la roulette de la Chance, j'ai perdu à ma naissance, de toute façon.
« Et puis, ma ténacité à la limite de l'obsession m'a souvent causé des ennuis. À force de ne pas démordre de mon but, j'ai embêté et poussé à bout mon entourage. Le pire, c'est que c'est moi qui me suis lassée le plus vite et qui les ai quitté. Je suis un être ignoble, un monstre, n'est-ce pas ? Qu'en pensez-vous ? (Elle ne me laissa même pas le temps de répondre – de toute façon, je ne l'aurais pas fait – et enchaîna directement : ) Et je n'ai jamais su tirer apprentissage de mes erreurs – ni reconnaître ces dernières, d'ailleurs. Je suis d'une stupidité affligeante. J'en suis moi-même consternée, maintenant que j'en prends conscience. »
Mais je pense qu'au contraire, sous ce masque fait de sarcasme et de nonchalance, elle était généreuse et très gentille. Bien qu'elle n'aurait jamais voulu se l'entendre dire, elle se montra d'une extrême sensibilité et d'un courage immense en me dévoilant ses pensées les plus profondes et les mieux enfouies au fin fond de son cœur. C'était surtout cette sensibilité qui me frappa, car elle était très touchante et diamétralement opposée à tout ce qu'elle m'avait décris d'elle. Je ne peux croire tout ce qu'elle m'a dit. Car au fur et à mesure de son récit, elle se révéla intelligente, douce, et reconnut toutes les erreurs qu'elle avait commises par le passé. Elle reconnut qu'elle avait été méchante parfois, et qu'elle avait aussi, certainement, agi stupidement d'autres fois. Mais j'estime que c'est ce que l'on est maintenant et non pas ce que l'on a été qui compte, et que faire tout ce qu'elle a fait, reconnaître ses erreurs et ses agissements stupides, et mettre son cœur et son âme à nu, est la plus grande des intelligences et requiert le plus respectueux des courages. Et c'est ça que, toute ma vie, je retiendrais d'elle.
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Drywen ( Administratrice )
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